Gif, mème, troll : décryptage du nouvel axe de com des grands patrons du jeu vidéo

Le 11 juillet 2007, sur la scène de l’E3 à Los Angeles, Nintendo dévoile Wii Fit et sa balance board. L’animateur de la conférence Nintendo demande au président de Nintendo of America, Reggie Fils-Aimé, s’il est prêt à monter sur le périphérique pour une démonstration. Débonnaire, le grand patron déclame : « My body. My body is ready. » Si son corps était prêt, l’Internet l’était aussi et s’empare de la phrase, la remixe, la détourne de gif en gif. Dans un milieu où on s’écharpe entre geeks sur des forums spécialisés, les gifs sont des armes de clash massives. On préfère répondre par un smiley sarcastique qu’avec un bon argument et les meilleures créations survivent, année après année. Six ans plus tard, des milliers de gamers continuent à déclamer que leur corps est prêt. Prêt pour quoi ? Peu importe, tant que cela est en lien avec leur milieu préféré. Le lol corporate était né.

Très vite les grands dirigeants du jeu vidéo comprennent qu’ils ont face à eux un public rompu aux web, à ses codes et parodies. Passée la surprise initiale d’être immortalisé sous Photoshop, Reggie Fils-Aimé s’amusera à réutiliser son fameux « mon corps est prêt » au fil des interviews. Avec sa phrase culte et son visage unique, Reggie aura donné naissance à un nouveau mème issu du jeu vidéo.

Mais pour la première fois, loin des « Giant enemy crab » de Sony et autres « boom here’s my shoe » de Microsoft, ce verbatim est utilisé pour rire avec Nintendo, et non contre eux. L’enthousiasme communicationnel contamine la hiérarchie chez Nintendo, puisque le président de Nintendo Japon (et maintenant Amérique du Nord) Satoru Iwata se met à se ridiculiser pour le lol en se filmant en train de jouer avec des bananes en peluche, ou encore flanqué de gants géants.

Systématiquement, les communautés de joueurs captent les images et les passent à la moulinette à gif pour mieux les placarder sur leurs Tumblr. Si les ventes de Nintendo ne remontent pas pour autant, les exécutifs en costume de la marque gagnent en capital sympathie. Dans un secteur où chaque gamer cherche sans cesse un nouveau grand Satan (d’abord Electronic Arts, puis Activision, puis de nouveau Electronic Arts), la bataille des (quarts de) cœurs est primordiale.

Microsoft bon dernier

Au petit jeu du patron sympa, Microsoft reste bon dernier. Ses communicants parlent comme s’ils étaient à un entretien d’embauche, mettant en avant leurs succès et nous abrutissant à coup de metrics, ces chiffres supposés donner le tournis. Plus de partenaires ! Plus d’abonnés ! Plus de jeux exclusifs ! Le rouleau compresseur est en marche, les powerpoints parlent d’eux-mêmes. L’humour ne fait pas partie de l’ADN d’entreprise de Microsoft. Ici c’est sérieux, on te vend la Xbox One sur des promesses concrètes et non des pirouettes de saltimbanque, quitte à passer pour des robots sans âme.

Mal en point sur la génération passée, sa trésorerie en berne, Sony ne peut pas lutter à coup de partenariats incroyables et autres annexassions du Paris Saint-Germain. L’ancien président de Sony Computer Entertainment, Kaz Hirai, est parti dans de hautes sphères, et sans lui pour balancer des petites phrases énôrmes qui marquent le public, la marque a dû se renouveler. L’E3 2013 aura été celui du réveil du lol chez Playstation, qui a compris que l’humour Internet, teinté de mauvaise foi, peut devenir un véritable axe de communication.

Lorsque Jack Tretton, le PDG de la branche américaine, annonce que la PlayStation 4 ne contiendra pas de verrou électronique, c’est sur le ton du troll, avec cette malice au coin des lèvres. Aucun malentendu quant aux petits haussements de sourcils appuyés, ce n’est pas tant une annonce qu’un tacle à la concurrence. Pour enfoncer le clou, Sony diffuse une petite vidéo improvisée en coulisses, sur le partage de jeux, alors prohibé par Microsoft pour sa Xbox One. On y voit Shuhei Yoshida, le président des studios de développement PlayStation, donner la boîte d’un jeu à Adam Boyes, un autre gros bonnet de Sony. « Voilà comment prêter un jeu sur PS4. », « Merci ! ». Le troll est total, les fans de la marque explosent en direct sur Internet pendant que même les plus fervents défenseurs de la concurrence doivent le reconnaître : c’est drôle.

Tweets de déglingo

Jusqu’ici uniquement connu des défenseurs les plus acharnés de Sony, Yoshida apprend assez vite à capitaliser sur sa notoriété nouvelle. À présent que la vidéo de l’E3 tourne, même les gamers les moins attentifs le reconnaissent. En tant qu’un des rares patrons japonais à maîtriser la langue de Shakespeare, il devient de plus en plus actif sur Twitter. Entre deux tweets plus corporate ou sur ses enfants, il prend le temps de répondre aux fans de Sony. La plupart du temps il répond à des questions sérieuses, ou remercie un fan. Mais parfois, il se lâche et envoie des réponses complètement déglingo. Quand un joueur, déplorant l’absence de lecteur de MP3 embarqué dans la PS4, lui avoue qu’il aimerait pouvoir écouter un porno en tâche de fond pendant qu’il joue à Battlefield, Shuhei lui répond : « Je sais ». Pluie de retweets.

Mais Shuhei a le génie de ne pas se limiter son terrain de troll à Twitter. Dès la sortie de la WiiU, il poste un message sur le Miiverse de la console de Nintendo, sur lequel on pourra lire « I <3 PS. Yosp ». Le message circule, est repris par les publications du monde entier. Non seulement Yoshida trolle, mais il le fait par l’intermédiaire du matériel de la concurrence, là où Nintendo et Microsoft rechignent à se mettre en scène en train d’utiliser une console Sony. L’audace paie.

La semaine de la sortie américaine de la Playstation 4, le forum ultra spécialisé et nerd NeoGaf a fait d’Antonio Banderas l’égérie gif de la console. Quelqu’un a trouvé une séquence du film Assassins dans laquelle Antonio apprécie de manière exagérée ce qu’il lit sur un écran d’ordinateur. La base a été décidée et très vite, d’infinies variations d’Antonio circulent. C’est comme un concours informel où celui qui sera l’auteur du meilleur mashup gagne l’Internet pour la journée. Le lectorat gamer se délecte de l’escalade dans le photomontage au fur et à mesure qu’il utilise ces créations pour troller dans ses communautés.

Du grain à giffer

Et voilà qu’à peine quelques jours plus tard, invité à la TV américaine lors d’une émission spécial lancement de la PlayStation 4, Shuhei mime Antonio Banderas à son tour, même extrait du film, même jeu d’acteur. De nouveau, Internet explose. Non seulement le patron de PlayStation Studios lit NeoGaf, mais il joue le jeu, il donne du grain à giffer à ses fans comme à ses détracteurs. Son capital sympathie explose tandis que son nombre de followers Twitter ne cesse de croître. Plus que n’importe quel autre patron en costume de chez Sony Computer Entertainment, le visage de la marque en 2013, c’est lui. On le retrouvera d’ailleurs dans une vidéo de déballage surréaliste de la PlayStation 4, à l’esthétique copiée sur les Daft Punk. Controverse, génie.

Au moment où Microsoft se cherche, en pleine passation de pouvoir suite au départ du toujours-un-peu engoncé-dans-sa-chemise Don Mattrick, PlayStation reprend la main sur la communication de marque à la cool. Une stratégie complètement différente du reste du marché, notamment américain. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’incroyable opération séduction à laquelle se livre le nouveau PDG d’Electronic Arts, Andrew Wilson.

Biberonné aux metrics et autres Key Performance Indicators, Wilson fait le tour des rédactions, multiplie les questions-réponses avec les consommateurs, le tout avec assurance et ouverture. Il se montre, assume les errances passées et fait de belles promesses. En somme, il fait tout ce que l’on attend de lui, en tant que PDG. Mais est-ce un positionnement gagnant vis-à-vis du gamer hyperactif ? Nul doute que Shuhei et ses amis auraient une bonne répartie à offrir, du genre que l’on retweete jusqu’à la page d’accueil de Kotaku.

Car peut-être que plus que la compétence et la capacité à générer liquidités et licences annualisées, ce qui donne envie au joueur, habitué au plastique froid de son matériel de jeu, c’est un peu d’humanité et d’humour en ligne. Même Yves Guillemot, patron d’Ubisoft, possède son propre gimmick à potentiel de mème. Son accent anglais et son « cinq you » entendu quand il voulait dire « thank you » le poursuivront jusqu’à son dernier E3. Et ce n’est pas un mal, parce que cela l’humanise, à défaut d’être assez culte pour le propulser au panthéon des détournements Internet. Car si le lol corporate est l’avenir de la communication jeu vidéo, Sony et Nintendo ont encore une belle longueur d’avance sur la concurrence.

Source : Fun Academy

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